Une fois sur
la terre ferme, entre Bernières et Courseulles-sur-mer, c'est 14 000 engins
explosifs qui les attendent, en plus des douze casemates munies de mitrailleuses,
des emplacements fortifiés de tirs de mortiers, et de gros abris protégés
s'ajoutant aux défenses, ce qui faisait de Courseulles l'une des positions les
plus fortifiées qui furent attaquées en ce Jour J, alors qu'aucun char n’est
encore présent pour soutenir les hommes car ceux-ci n'avaient pas été lancés en
mer à cause du mauvais temps. Bien qu’ayant subi des bombardements intenses de
l'aviation et des navires de guerre alliés, les bunkers et les casemates des
Allemands, construits en béton épais renforcé d’acier, semblent en mesure de
résister à tout, sauf à une attaque directe. Ils vont devoir s’en emparer un par
un pourvu d'un courage indicible pour simplement continuer d'avancer en
surmontant l'ennemi par les tirs directs.
Ils en ont payé le prix fort en nombre de soldats tués, blessés ou fait
prisonniers. Mais, tous ces sacrifices en valurent la peine puisqu'ils
libèreront les villages de Courseulles, de Saint-Aubin, de Bernières et des
environs. Ce fût d'ailleurs la surprise pour ces français d'entendre nos
valeureux Québécois du régiment de la Chaudière parler le patois normand de chez
eux car ils s'attendaient à voir débarquer les Américains. Ils étaient là avec
leurs fusils, ils les tutoyaient et avaient l'air décontractés. Ils se lièrent
bien naturellement d'amitié : «comme beaucoup de Québécois, je me suis inscrit à
l'aventure, à voyager et à aider ma famille dans un Québec durement touché par
la misère. Aussi bien par patriotisme que par solidarité. J'ai peut-être aussi
senti l'appel à défendre mes frères français. Il est difficile d'isoler un
facteur unique qui m'a amené à m'inscrire. On pourrait aussi considérer le désir
des Québécois de libérer la patrie. En 1647, à 21 ans, mon ancêtre Pierre a
quitté la Normandie pour une bonne cause: aller développer le Québec. En 1941, à
19 ans, je me suis inscrit avec une noble intention: la libération de la
Normandie. Deux Tremblays. Deux histoires. Deux actes nobles. Entre les deux:
300 ans d'histoire.»
Le vétéran garde en mémoire la reconquête de l’aérodrome de Carpiquet, défendu
notamment par la 12ème Division blindée de la Waffen SS « Hitlerjügend », où il
a failli passer l'arme à gauche. «Ça été terrible parce que les [Canadiens]
Anglais avaient pris Carpiquet. Ils ont fêté trop vite et les Allemands ont
contre-attaqué. C’est nous autres, le Régiment de la Chaudière, qui a eu la job
d’aller la reprendre à nouveau. On a mangé une vraie bonne claque; on a perdu
beaucoup de monde. Nous étions couché dans les tranchées, comme tous les soirs,
beau temps, mauvais temps.» En ce 4 juillet, à peu près vers 3 h du matin, un
véritable enfer d’obus allemands s'abat sur eux. «Nous avons été enterré vivant
», raconte-t-il. S'extrayant lui-même du sol, il secourut ensuite deux de ses
confrères ensevelis à côté de lui à l'aide d'une petite pelle, le conducteur de
Bran-Carrier Bellefleur de même que son commandant Aspirot, moment à jamais
gravé dans sa mémoire.
Le 17, le Régiment, enregistrant de lourdes pertes, commence la reconquête des
faubourgs Est de Caen, pénétrant dans la ville en ruines le 30. Victime d’une
erreur de frappe aérienne américaine le 8 août, les Chauds participent à
l’encerclement de la Poche de Falaise. Lorenzo s'en souvient comme si c'était
hier : «J’ai changé d’équipe avec un sergent qui venait d’arriver d’une attaque.
On faisait une attaque chaque jour, à chacune, on changeait de section. Il y
avait un sergent nommé Gagnon. Il était arrivé d’une attaque et il avait la
grippe, il était malade. Il est venu me demander si je pouvais le remplacer pour
la prochaine et ensuite il me remplacerait pour les deux autres. J’ai accepté.
Pendant que j’attaquais à sa place, nos propres avions se sont trompés de target
[cible]; ils ont lancé des bombes sur nos positions. À ce moment, le sergent
Armand
Gagnon, qui venait d’une place derrière Rivière-du-Loup, s’est fait tuer. Il est
allé se cacher en dessous du carrier [la chenillette porte-Bren] et puis a reçu
une bombe.» Le Régiment sera transféré le 30 aux alentours de Rouen et
participera par la suite à la libération de Boulogne et de Calais avant de
poursuivre vers les Pays-Bas.
M. Tremblay n’a pas non plus oublié l’arrivée à la frontière de l’Allemagne, «la
ligne», comme il l’appelle encore. «Il y avait des fils barbelés et des bombes
partout […] Il fallait les déterrer et les mettre hors d’atteinte. J’en ai pris
des quantités», avance-t-il. Un autre sergent avait sauté sur une mine et perdu
ses jambes. «Il n’est pas mort, mais je me suis retrouvé sergent responsable
d'un peloton de Bren-Carrier [porte-mitrailleur] composé de 64 gars à partir de
ce moment-là.» |