Le Sergent Lorenzo Tremblay

Un héros de Val-Brillant

Il célèbrera son 100e anniversaire de naissance le 10 janvier 2022

(Le texte suivant a été publié par la réserve navale de Sept-Îles)

 

Sept-Îles, le 6 juin 2019
Dans le cadre des commémorations honorifiques, plus que méritées, du 75e anniversaire du débarquement de Normandie, du 150e anniversaire du Régiment de la Chaudière ainsi que du 35e anniversaire de la Réserve navale de Sept-Îles, au nom de tous les Québécois.es, militaires comme civiles, nous remercions solennellement un de nos vétérans méconnu, à l'instar de Léo Major, le sergent Lorenzo Tremblay du Régiment de la Chaudière, bientôt centenaire mais toujours aussi fringant. Merci encore monsieur pour votre courage, votre bravoure et votre détermination. Nous vous en serons à jamais reconnaissant. Nos saluts militaires et le récit de vosexploits sont des plus émouvants et vous avez de quoi être très fier !!!


«
Je suis né le 10 janvier 1922 à Val-Brillant, Québec, fils de Pierre Tremblay et Marianne Brochu, j'ai eu un premier mariage 2 mois avant de m'enrôler dans l'armée avec Marie-Jeanne Chénard en 1941 puis un second avec Aurore Boudreau en 1997. Mon arrière-grand-père, Pierre Tremblay, est d'origine normande de Randonnai, un petit village du Perche, en Normandie. Seul chef de famille de ce nom à provenir de France, il est l'ancêtre de tous les Tremblays d'Amérique du Nord. Son nom est mentionné pour la première fois à Québec en 1647. Le 2 novembre 1657, il épouse Ozanne Achon de Chambon, dans le diocèse de La Rochelle. Il avait 31 ans et elle avait 24 ans. Ils travaillaient dans la région côtière de Beaupré, qui formait plus tard la paroisse de «L'Ange Gardien». Pierre Tremblay a passé toute sa vie à travailler la terre.»


En ce 6 juin 2019, Lorenzo Tremblay se souvient plus que jamais, à l'aube de ses 98 ans, des 11 mois passés au front lors la Seconde Guerre mondiale. Enrôlé à 19 ans, il survivra héroïquement sous le feu infernal de l'ennemi jusqu'à la fin de la guerre. «J’ai perdu mon père à 11 ans. On était une famille de douze enfants. On n’avait pas de travail. J’ai donc décidé de m’enrôler. On est parti, une dizaine de ma place. Le 10 juillet 1941, je me suis inscrit aux Fusiliers du Saint Laurent et j'ai suivi ma formation militaire dans différentes bases au Québec, en Ontario, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. J’étais opérateur de mitrailleuse légère Bren.303 et de lanceflammes. On était soixante-quatre sur le peloton, qui était le numéro quatre de la compagnie de support du Régiment de la Chaudière.»

Trois régiments francophones prendront ainsi part à la Bataille de Normandie : le Régiment de la Chaudière, le Régiment de Maisonneuve et le Régiment des Fusiliers du Mont-Royal. Celui de Lorenzo, dirigée par le major-général Keller et surnommés les « Chauds », débarque le 6 juin 1944 vers 8h45 sur le secteur canadien de Juno, après une traversée tumultueuse sur la Manche à bord du navire HMCS Prince David. Il affrontera la 716ème Division d’infanterie allemande durant tout le mois de juin.


Le Régiment, affecté par le mal de mer toute la nuit durant, embarque finalement dans les chalands. En Face, le clocher de Bernières-sur-Mer se dessine à travers un épais rideau de fumigènes. Les bombardements enflamment les côtes Normandes lorsque les barges s'ouvrent. L'assaut sur Juno Beach se révèle bien plus difficile que prévu en raison de la mer déchainée par la tempête de la veille : plusieurs embarcations s'écrasent contre des récifs alors que les péniches de débarquement arrivent au milieu de mines sous-marines. Les soldats sont contraints de nager par dessus ceux-ci jusqu’au rivage sous de lourds tirs de mitrailleuses et de mortiers des boches.

Une fois sur la terre ferme, entre Bernières et Courseulles-sur-mer, c'est 14 000 engins explosifs qui les attendent, en plus des douze casemates munies de mitrailleuses, des emplacements fortifiés de tirs de mortiers, et de gros abris protégés s'ajoutant aux défenses, ce qui faisait de Courseulles l'une des positions les plus fortifiées qui furent attaquées en ce Jour J, alors qu'aucun char n’est encore présent pour soutenir les hommes car ceux-ci n'avaient pas été lancés en mer à cause du mauvais temps. Bien qu’ayant subi des bombardements intenses de l'aviation et des navires de guerre alliés, les bunkers et les casemates des Allemands, construits en béton épais renforcé d’acier, semblent en mesure de résister à tout, sauf à une attaque directe. Ils vont devoir s’en emparer un par un pourvu d'un courage indicible pour simplement continuer d'avancer en surmontant l'ennemi par les tirs directs.


Ils en ont payé le prix fort en nombre de soldats tués, blessés ou fait prisonniers. Mais, tous ces sacrifices en valurent la peine puisqu'ils libèreront les villages de Courseulles, de Saint-Aubin, de Bernières et des environs. Ce fût d'ailleurs la surprise pour ces français d'entendre nos valeureux Québécois du régiment de la Chaudière parler le patois normand de chez eux car ils s'attendaient à voir débarquer les Américains. Ils étaient là avec leurs fusils, ils les tutoyaient et avaient l'air décontractés. Ils se lièrent bien naturellement d'amitié : «comme beaucoup de Québécois, je me suis inscrit à l'aventure, à voyager et à aider ma famille dans un Québec durement touché par la misère. Aussi bien par patriotisme que par solidarité. J'ai peut-être aussi senti l'appel à défendre mes frères français. Il est difficile d'isoler un facteur unique qui m'a amené à m'inscrire. On pourrait aussi considérer le désir des Québécois de libérer la patrie. En 1647, à 21 ans, mon ancêtre Pierre a quitté la Normandie pour une bonne cause: aller développer le Québec. En 1941, à 19 ans, je me suis inscrit avec une noble intention: la libération de la Normandie. Deux Tremblays. Deux histoires. Deux actes nobles. Entre les deux: 300 ans d'histoire.»


Le vétéran garde en mémoire la reconquête de l’aérodrome de Carpiquet, défendu notamment par la 12ème Division blindée de la Waffen SS « Hitlerjügend », où il a failli passer l'arme à gauche. «Ça été terrible parce que les [Canadiens] Anglais avaient pris Carpiquet. Ils ont fêté trop vite et les Allemands ont contre-attaqué. C’est nous autres, le Régiment de la Chaudière, qui a eu la job d’aller la reprendre à nouveau. On a mangé une vraie bonne claque; on a perdu beaucoup de monde. Nous étions couché dans les tranchées, comme tous les soirs, beau temps, mauvais temps.» En ce 4 juillet, à peu près vers 3 h du matin, un véritable enfer d’obus allemands s'abat sur eux. «Nous avons été enterré vivant », raconte-t-il. S'extrayant lui-même du sol, il secourut ensuite deux de ses confrères ensevelis à côté de lui à l'aide d'une petite pelle, le conducteur de Bran-Carrier Bellefleur de même que son commandant Aspirot, moment à jamais gravé dans sa mémoire.


Le 17, le Régiment, enregistrant de lourdes pertes, commence la reconquête des faubourgs Est de Caen, pénétrant dans la ville en ruines le 30. Victime d’une erreur de frappe aérienne américaine le 8 août, les Chauds participent à l’encerclement de la Poche de Falaise. Lorenzo s'en souvient comme si c'était hier : «J’ai changé d’équipe avec un sergent qui venait d’arriver d’une attaque. On faisait une attaque chaque jour, à chacune, on changeait de section. Il y avait un sergent nommé Gagnon. Il était arrivé d’une attaque et il avait la grippe, il était malade. Il est venu me demander si je pouvais le remplacer pour la prochaine et ensuite il me remplacerait pour les deux autres. J’ai accepté. Pendant que j’attaquais à sa place, nos propres avions se sont trompés de target [cible]; ils ont lancé des bombes sur nos positions. À ce moment, le sergent Armand
Gagnon, qui venait d’une place derrière Rivière-du-Loup, s’est fait tuer. Il est allé se cacher en dessous du carrier [la chenillette porte-Bren] et puis a reçu une bombe.» Le Régiment sera transféré le 30 aux alentours de Rouen et participera par la suite à la libération de Boulogne et de Calais avant de poursuivre vers les Pays-Bas.


M. Tremblay n’a pas non plus oublié l’arrivée à la frontière de l’Allemagne, «la ligne», comme il l’appelle encore. «Il y avait des fils barbelés et des bombes partout […] Il fallait les déterrer et les mettre hors d’atteinte. J’en ai pris des quantités», avance-t-il. Un autre sergent avait sauté sur une mine et perdu ses jambes. «Il n’est pas mort, mais je me suis retrouvé sergent responsable d'un peloton de Bren-Carrier [porte-mitrailleur] composé de 64 gars à partir de ce moment-là.»

Lorenzo Tremblay a été promu sergent en raison de ses qualités personnelles exceptionnelles et de son expérience puisqu'il avait combattu en France, en Belgique, en Hollande et maintenant en Allemagne. Ils se dirigeront irrémédiablement jusqu'à la victoire finale contre le IIIe Reich malgré les millions de morts parmi les forces alliées, dont 45 300 canadiens, comprenant 817 québécois. Les faits d'armes de Lorenzo Tremblay lui vaudront d'ailleurs le titre de Chevalier de la Légion d'Honneur de France, la plus haute décoration honorifique.


«Je vais vous dire que j’ai une mémoire épouvantable. Je me souviens de tout. Je vois tout mon chemin encore à l’âge que j’ai là, de A à Z. Je m’étais fait un journal et chaque jour je marquais des points de repère; où on était et ce qu’on allait faire ou ce qu’on avait fait. Je m’étais marié avant de partir du Canada, j’étais très en amour avec ma femme. Je m’ennuyais énormément de ma blonde.» Il a maintes fois remercié le ciel «d’être sorti de là» en vie, indemne. «La fin de la guerre? Ah, Seigneur, je m’en souviens, je m’en retournais chez nous en janvier 1946.» Il est monté, avec des milliers d’autres soldats, à bord du Queen Mary pour atteindre New York, puis par train vers Québec et Lévis, le fief de son Régiment de la Chaudière.


Il est ensuite retourné à Rivière-du-Loup retrouver sa femme et serrer pour la première fois dans ses bras son fils unique, né pendant qu’il était au front. «C’est un trésor, votre premier enfant»,dit-il, les étoiles dans les yeux. Après sa démobilisation en 1946, Lorenzo se joignit au Canadien National. Après quelques études, il devint ingénieur de locomotive jusqu'en février 1951 et en 1954 il occupa le même poste mais pour la compagnie minière Iron Ore Compagny (IOC) de la ville de Sept-Îles, sur la Côte-Nord, province de Québec, jusqu'à sa retraite en juillet 1985. «La nuit en rêve, je fais la guerre. Je suis pris dans un bombardement. C’est dur à expliquer, mais ça arrive très souvent encore. Je suis resté marqué par ça. Je n’étais pas vieux.


Quand j’ai vu disparaître les côtes du Canada en quittant Halifax, j’aurais voulu ne pas pleurer, mais j’en étais incapable. Je me disais, je reverrais mon pays si je suis chanceux. J’ai été assez chanceux pour revenir. On n’est pas beaucoup qui sont revenus du débarquement.» Encore aujourd’hui, pas une journée ne passe sans que notre héro parle de ses années dans l’armée.


«Moi, je veux me faire enterrer avec mon blaser», lance-t-il, montrant sa veste verte décorée.


«Mais pas avec les médailles ; leur place sera au musée.» Et un vibrant hommage vous sera de nouveau rendu ...